Le 27 novembre dernier, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) a abrogé la loi criminalisant le trafic illicite de migrants au Niger. Une loi adoptée le 26 mai 2015 mais qui avait largement été dénoncée par la société civile du pays.
Environ quatre mois après le coup d’Etat militaire contre le président nigérien Mohamed Bazoum, les nouvelles autorités militaires du pays ont décidé d’abroger la loi 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite de migrants.
Dans un communiqué diffusé à la télévision et à la radio publique du Niger, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie indique que cette loi qui « incrimine en trafic illicite certaines activités par nature régulières » a de toute façon « été votée sous l’influence de certaines puissances étrangères ». Cette abrogation est donc une réponse aux multiples conséquences préjudiciables et de l’impact de cette loi sur les libertés publiques soutient le CNSP.
Des relations tendues entre l’Union européenne et les nouvelles autorités du Niger
Le communiqué abrogatoire de cette loi était intervenu à la veille d’une conférence internationale à Bruxelles dédiée à la lutte contre le trafic illicite de migrants.
Depuis le coup d’Etat du 26 juillet, les relations entre le Niger et certains de ses partenaires, notamment européens, sont en froid. Une situation consécutive aux multiples condamnations et sanctions prononcées contre les putschistes.
Le 23 octobre 2023, l’Union européenne avait adopté, un cadre juridique lui permettant de prendre des sanctions contre le régime militaire arrivé au pouvoir au Niger. Luxembourg offre un cadre pour « sanctionner les individus et entités responsables d’actions qui menacent la paix, la stabilité et la sécurité au Niger » a précisé le Conseil européen dans un communiqué indique le média France Info.
L’Union européenne avait déjà suspendu toute forme d’aide et de coopération avec le Niger au lendemain du coup d’Etat contre le président Mohamed Bazoum.
Une abrogation positivement accueillie à Agadez
L’Indice de développement humain (IDH) de 2021-2022, classe le Niger 189è sur 191 pays dans le monde, ce qui fait de ce pays l’un des plus pauvres de la planète.
Dans ce pays sahélien, c’est la région d’Agadez qui constitue la principale plaque tournante de la migration. Située au nord du pays, la ville d’Agadez est devenue un carrefour migratoire depuis les années 1990. Cet emplacement reste un point de jonction important entre le Niger et l’Algérie mais aussi entre le Niger et la Libye. Une situation géographique qui continue de catalyser le transit de millier de candidats à la migration vers le Maghreb ou l’Europe.
Des milliers de personnes qu’il faut soigner, nourrir et héberger. Ce qui a contribué à la création de diverses activités génératrices de revenus dans cette région. Une véritable manne financière pour les habitants de cette partie du Niger confrontée au chômage et à la pauvreté.
Abdourahamane Tourawa, maire de la ville d’Agadez rappelle que « les africains ont comme passage [vers le Maghreb] la porte du désert qui est Agadez. La migration a toujours été un quotidien de la population agadézienne. Elle a créé toute une économie […] ». Notamment des métiers dans le domaine du transport, mais aussi des intermédiaires, des vendeurs de bidons d’eau, des restaurateurs, ou encore dans le secteur de l’hébergement. Malheureusement le maire de la ville d’Agadez rappelle que la loi 2015-36 « a cassé toute une économie et toute cette population qui vit autour de l’économie migratoire s’est sentie lésée ».
Une frustration légitime d’autant plus que beaucoup d’acteurs de la migration n’ont reçu aucune compensation intéressante qui pouvait faciliter leur reconversion. Le maire rappelle que cet état de fait a créé beaucoup de mécontents car sur « 3000 dossiers qui devraient être financés, il n’y a eu que quelque centaine qui ont abouti » ce qui a mis au chômage une grande majorité de personnes notamment les jeunes. Donc, c’est sans surprise que l’abrogation de cette loi par le CNSP a été accueillie par des « scènes de liesse » à Agadez indique Abdourahamane Tourawa, tout en précisant qu’en tant qu’élu, il se doit d’apporter son soutien à la population. Cette abrogation est donc la « solution idoine à un certain nombre de problèmes » notamment le trafic de drogue, le banditisme, etc.
Quand Agadez reprend du souffle
Une semaine après l’abrogation de cette loi, le maire rapporte que sa ville a enregistré entre 60 et 80 départs de véhicules vers le site aurifère du Djado. Sachant qu’une partie des passagers continueront leur route vers le Maghreb et l’Europe.
L’enthousiasme du maire de la ville d’Agadez se lie également sur les visages des nombreux migrants que nous croisons à la gare de la ville dans la matinée du 2 janvier 2024. Tous sont en partance pour la Libye. On y voit des pickups de la marque Toyota de type Hilux, surchargés de dizaines de migrants. Pour ces candidats au départ, le seul rempart contre une chute sur la route reste le bout de bâton sur lequel chacun s’accroche.
Dans un brouhaha constant et au milieu de détritus, le ballet des véhicules continue. Une ambiance dans l’indifférence la plus complète sous le regard souvent hagard des passeurs.
Pour affronter les basses températures et le vent poussiéreux du désert Sanousi, la trentaine entamée, regard enthousiaste, est vêtu d’une doudoune grise et coiffé d’un bonnet de couleur beige. Il est originaire du département de Guidan-Roumji (région de Maradi, au sud du Niger).
« Je pars en Libye si Dieu le veut, c’est mon troisième voyage. Avant le voyage comportait beaucoup de difficultés, mais maintenant comme les routes sont ouvertes, tout va bien. Nous sommes vraiment contents. Moi je m’arrête au niveau de la Libye, une fois que j’aurai mis de l’argent de côté je compte retourner dans mon pays. »
A 19 ans, Illa en est déjà à son quatrième voyage vers le Maghreb. Originaire du village de Tchadoua, situé dans la région de Maradi, il est aussi dans le même véhicule que Sanoussi. Ils partent tous pour la Libye cette fois-ci. Un pays dans lequel « je n’ai jamais été » indique le jeune homme, l’air anxieux et intimidé par le voyage.
« Chaque mardi il y a un convoi qui quitte Agadez pour Dirkou » rapporte Abourahamane Amma, membre du syndicat des transporteurs sur l’axe Agadez-Dirkou. Il estime que l’abrogation de cette loi reste une bonne décision, notamment au nom de la liberté de circulation de chacun sur le continent. Le quinquagénaire rappelle aussi une recrudescence de l’insécurité dans la zone directement imputable à l’interdiction du trafic des migrants. Alors même que les problèmes sécuritaires que connaît cette région sont bien antérieurs au phénomène migratoire.
C’est dans cette ville qui vit et respire migration qu’est établit Aboubakari, un malien de Mopti. Après plusieurs tentatives infructueuses vers l’Europe, le vieil homme s’est résolu à s’installer définitivement à Agadez depuis les années 1990.
Reconverti en changeur de devises, il explique avoir plusieurs fois été arrêté, avant d’être relâché, car la police le soupçonnait de faire partie d’un réseau de trafic de migrant. Ce qu’il a toujours dénoncé. Aboubakri a de nouveau redémarré son activité, depuis l’abrogation de cette loi.
La CNDH satisfaite mais alerte sur la gestion des flux migratoires
Alors que l’Union européenne poursuit sa politique d’externalisation de ses frontières extérieures en incitant les pays africains à prévenir les départs clandestins vers l’Europe, cette décision du Niger soulève des questions cruciales quant à la coopération dans la lutte contre la migration illégale.
Bachir Saley, chef d’antenne d’Agadez de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) du Niger fait remarquer que la migration est un droit fondamental, conformément à la déclaration Universelle des droits de l’Homme en son article 13 alinéa 2.
Par ailleurs, il rappelle aussi qu’«il va y avoir un flux de migrants vers Agadez, donc en tant que défenseur des droits humains, on est sensé voir dans quelle condition les protéger. Qu’ils soient des migrants irréguliers ou réguliers ». Ce qui passera par des campagnes de sensibilisation à la fois vers les migrants mais aussi vers les passeurs. Cependant, cette stratégie qui n’est pas nouvelle, n’a pas non plus démontré son efficacité.
Dans un rapport publié en novembre 2023 par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) au Niger, on apprend qu’au cours des neuf premiers mois de l’année 2023, le Niger a enregistré l’entrée de 52 643 migrants sur son sol, tandis que 64 520 ont quitté le pays. Ces chiffres s’inscrivent dans une tendance plus large, puisque depuis l’année 2016, plus de quatre millions de migrants ont traversé le territoire nigérien souligne l’organisation.
Avec l’abrogation de cette loi, la CNDH espère que l’Etat prenne des dispositions « parce que s’il abroge cette loi il sait qu’il y aura un flux (migratoire) qu’il faut aussi maîtriser » fait remarquer Bachir Saley.
L’abrogation de la loi sur le trafic illicite de migrants au Niger, survenue suite au coup d’État du 26 juillet 2023, a engendré des répercussions significatives. Les relations tendues entre les nouvelles autorités nigériennes et certains partenaires occidentaux, notamment l’Union européenne, ont été exacerbées. Les conséquences de cette décision se manifestent à Agadez, principale plaque tournante de la migration, où la population, fortement dépendante de l’économie migratoire, a salué cette annulation avec enthousiasme. Cependant, des questions se posent quant à la coopération dans la lutte contre la migration illégale, et la nécessité de protéger tous les migrants, qu’ils soient réguliers ou irréguliers.