Conflits armés, sécheresse, inondation, pauvreté… Autant de facteurs qui poussent certains jeunes du Burkina, du Mali et du Niger sur les routes incertaines et dangereuses de la migration. Au Sahel, la migration irrégulière s’adosse à des causes de plus en plus nombreuses et touche surtout des jeunes.
Arlit, près de 1200 km de Niamey, capitale du Niger. Cette ville célèbre pour son uranium est aussi une zone de transit de certains migrants en partance pour l’Europe ou les pays maghrébins comme l’Algérie ou la Libye. C’est là, à mille lieux de chez lui que squatte dans un ‘’ghetto’’ de fortune Adama Kafando, jeune burkinabè de 26 ans.
Plus de deux ans qu’il a quitté son pays, avec pour objectif d’aller en Europe. Il a frôlé la mort dans sa première tentative, avant d’être sauvé par les gardes maritimes algériens dans la Méditerranée. Emprisonné en territoire algérien où il a vécu différents sévices, il sera largué avec d’autres migrants à quelques km de la frontière nigérienne.
Une résilience à toute épreuve
Orphelin de père depuis ses 14 ans, Adama Kafando ne désarme pas bien qu’il est conscient du danger qui enveloppe son rêve de migrant. La quête d’un mieux-être, même s’il faut côtoyer la mort. « Le bateau qui transportait les femmes et les enfants de 5 ou 6 ans a fait un naufrage. Il n’y a eu aucun survivant. La nuit ça me hante. Je me réveille souvent brusquement comme si j’étais poursuivi. Ça m’a vraiment touché », dit-il d’une petite voix, le regard lointain comme s’il revivait la scène de l’horreur.
Pour autant, le migrant n’envisage pas revenir sur ses pas, abandonner son projet et regagner son pays natal. « Nul ne s’éloigne de sa terre sans raison », lance-t-il avec conviction pour légitimer son aventure. « Mon pays est menacé par les groupes armés terroristes et c’est l’instabilité. Je souffrais beaucoup, c’était du dur. En Europe, j’ai mis en tête que c’est là-bas que je peux avoir une meilleure vie », poursuit celui pour qui, retourner au Burkina sans avoir vu l’Europe serait vu comme un échec.
Le Burkina comme le Mali et le Niger sont en proie à des attaques des groupes armés terroristes depuis une dizaine d’années. Les bruits de canons ont poussé des millions de personnes sur les routes de la migration. Pour l’essentiel, les populations se déplacent dans les grands centres urbains à l’intérieur de leur pays. Au Burkina par exemple, le nombre de déplacé interne était de 2,2 millions de personnes à la date de 30 novembre 2023 contre 391,961 au Mali et 335, 500 au Niger.
« La terre ne nous donne plus rien » Au Sahel central, la majorité de la population exerce dans l’agriculture et l’élevage. En moyenne, 78% de la population active du Sahel dépend de ces deux secteurs. Ce chiffre est nettement supérieur à la moyenne mondiale (27 %), à celle de l’Afrique subsaharienne (53 %) et à celle des États fragiles et touchés par un conflit (47 %). Il s’agit des principales activités en dehors des grandes villes, bien qu’il y ait également de l’orpaillage dans certaines parties du Burkina Faso et du Mali et de l’extraction d’uranium dans certaines parties du Niger.
Des secteurs d’activité qui sont fortement impactés par le changement climatique. Inondations, sécheresse, mauvaise répartition des pluies poussent des producteurs à déserter leurs villages. « Nous sommes censés cultiver la terre. C’est un travail difficile, sous le soleil brûlant, et pourtant nous savons que nous n’aurons pas de récoltes suffisantes pour survivre le reste de l’année », soupire Mira une femme qui vit dans un village dans la région de Tahoua, au Niger. Ses propos sont relayés dans un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
Le mari de Mira a dû traverser la frontière pour le Nigéria où il travaille dans l’espoir d’avoir de quoi combler des récoltes insuffisantes pour l’alimentation de la famille.
Pas loin de chez eux
Pour Abdoul Razak Idrissa, du Réseau des journalistes pour la Migration au Niger, les causes de la migration dans les pays du Sahel sont hétéroclites. « Beaucoup de migrants fuient leurs pays à cause de l’insécurité. Il y a les questions liées aux changements climatiques qui font que les jeunes qui sont dans les communautés rurales n’ont plus d’espace pour cultiver. Quand ils viennent dans les centres urbains, il n’y a pas de boulot et ils sont obligés de partir », analyse l’invité sur le plateau de l’opération Sahel qui s’est penché sur les phénomènes migratoires au Burkina, au Mali et au Niger.
Absolument, semble lui répondre le président de l’association malienne des expulsés au micro de nos confrères de Studio Tamani au Mali. « Vu le changement climatique, la mauvaise gouvernance, les jeunes africains ne peuvent pas rester, ils veulent partir pour chercher un meilleur avenir ailleurs. C’est ce qui entraîne entre autres la migration clandestine ».
Et Dr Fodé Tandjigoura, spécialiste des questions migratoires au Mali d’ajouter que l’échec des systèmes éducatif au Sahel explique en partie l’envie des jeunes de partir de chez eux. « L’école n’aboutit plus systématiquement à la promotion sociale. Les jeunes voient en leurs aînés qui sont en France ou en Espagne, un modèle de réussite. Le modèle de réussite est calqué sur le modèle de ceux qui sont partis en migration », argue-t-il dans l’émission le Grand Dialogue de décembre 2023.
Selon un rapport sur les migrations en Afrique, sur 534 migrants ressortissants du Burkina Faso, Mali et Niger, les raisons économiques sont avancées comme principale motivation de leur départ. Ils sont 93 % à avancer cette raison. Le même rapport précise que la plupart des phénomènes migratoires des pays du Sahel se passent dans la sous-région ouest africaine.
La récente abrogation de la loi contre le trafic illicite de migrants au Niger redessine les itinéraires des flux migratoires, mais pas les causes.