Le 26 juillet 2023 a marqué un tournant majeur avec le renversement du président de la République du Niger, Mohamed Bazoum. Cette action a déclenché une série de condamnations tant au niveau régional qu’international, notamment avec les sanctions de la CEDEAO, de l’Union Européenne et des États-Unis.
À Niamey, la plupart des chancelleries occidentales a été prise au dépourvu par ce coup d’État. En France, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) est critiquée pour ne pas avoir anticipé le renversement de Mohamed Bazoum par le général Abdouramane Tiani
Sylvain Itté, l’ambassadeur de France au Niger, a été auditionné à huis clos par l’assemblée nationale française le 29 novembre 2023, près d’un mois après son départ du Niger. Le compte rendu de cette audition a été rendu public hier, le 14 février.
Pourquoi personne n’a rien vu venir ?
A cette question, Syvain Itté a pointé du doigt l’implication certaine de l’ancien président de la République du Niger Mahamadou Issoufou : « […] ce coup d’État est dû à un paramètre que personne ne pouvait imaginer : l’implication directe de l’ancien président Issoufou, dont on peut avancer sans grand risque de se tromper qu’il a fomenté ou pour le moins accompagné le coup d’État contre son successeur. »
L’ambassadeur a également souligné les principales missions de la DGSE au Sahel de manière générale. Les priorités en matière de coopération et de renseignements avec ces pays étant beaucoup plus renforcées sur les questions sécuritaires :
« Au Niger comme au Mali et au Burkina-Faso, la DGSE, était entièrement tournée vers la lutte contre le terrorisme. C’est la mission qui lui avait été donnée en partenariat avec les services de renseignement nigériens, puisque nous n’étions pas là pour mener cette guerre sans y associer les autorités locales dans le cadre d’un partenariat stratégique d’égal à égal. Avec le recul, on peut se demander s’il n’aurait pas fallu disposer de plus d’antennes dans le système politique nigérien. Mais j’aurais tendance à vous dire que nous avions ces antennes, grâce aux deux collaboratrices qui m’accompagnent ici et dont je vous assure qu’elles connaissent la société civile nigérienne comme peu de monde. »
Au lendemain de la publication de cette audition, des informations ont émergé selon lesquelles l’ancien président Issoufou Mahamadou aurait quitté le Niger pour l’Éthiopie, alimentant les suspicions de certains acteurs de la société civile quant à son implication dans la crise actuelle du pays.
A ceux qui doutent encore: l’ex président Issoufou est bel et bien arrivé ce matin dans la capitale Ethiopienne. Nous en avons eu la confirmation d’1 source à Addis Abeba. Ce voyage, ajouté à la déposition de l’ambassadeur de France à Niamey Sylvain Itte devant la Commission…
— Seidik Abba (@abbaseidik) February 15, 2024
Des causes liées à la rente pétrolière ?
Au lendemain du coup d’Etat contre Mohamed Bazoum, cette hypothèse faisait partie des multiples rumeurs qui couraient dans les rues de la capitale nigérienne.
Des soupçons que soutient l’ambassadeur français en indiquant que le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) qui aussi la formation politique de l’ancien président Mahamadou Issoufou et de Mohamed Bazoum : « était devenu un parti pour une part extrêmement corrompu et directement lié au trafic du pétrole géré par les Chinois. Une des raisons du coup d’État est que le président Bazoum, dans la perspective d’une augmentation importante de la rente pétrolière – le pays devait passer de 20 000 à 120 000 barils par jour avec le pipeline partant des zones de production jusqu’au port de Cotonou –, s’est attaqué à dater du mois de mars à la gouvernance pétrolière. Le jour du coup d’État devait se tenir un conseil des ministres pour créer une nouvelle société pétrolière dont le gouvernement nigérien aurait été majoritaire, et le président Bazoum avait refusé que le directeur général soit celui qui lui était proposé par le ministre du pétrole et qui n’était autre que le fils Issoufou » rapporte le diplomate.
Une catastrophe évitée de justesse
Des milliers de partisans des militaires putschistes ont manifesté, le dimanche 30 juillet 2023 devant les locaux de l’ambassade de France au Niger. Scandant des slogans hostiles à la France, certains tentent d’escalader le mur de la représentation diplomatique lorsque d’autres cassent les portes et essaient d’y mettre le feu.
« Le jour de l’attaque de l’ambassade, nous sommes passés à deux doigts d’une catastrophe puisque nous avions tiré toutes nos munitions non létales et que je venais de donner au chef de la sécurité l’autorisation de tirer ». Pour Sylvain Itté, c’est après l’appel du président Macron à Mahamadou Issoufou que la situation a connu un apaisement : « dix minutes plus tard, le général Modi, numéro 2 de la junte, était devant l’ambassade pour calmer les troupes, et dans les dix minutes suivantes tout le monde était parti. Les éléments de preuve sont donc assez flagrants. »
🇫🇷🇳🇪 "On a du mal à imaginer comment des soldats nigériens qui, 8 jours auparavant, se battaient aux côtés des soldats français ont retourné contre eux leurs canons de 75."
— OpexNews (@OpexNews) February 14, 2024
Quelques éléments intéressants tirés de l'audition à huis clos de l'ambassadeur @SylvainItte… pic.twitter.com/xo2vLmCWeI