Camarades, un roman d’Adamou Idé, sorti début 2021, aux Editions du Flamboyant & Communications. Il est le quatrième roman de l’auteur.
Dès les premières pages le ton est donné, l’œuvre nous plonge dans Niamey d’aujourd’hui et d’hier : les nouveaux quartiers, les bâtisses coloniales et les marchés, l’escapade poussant les limites du fleuve jusqu’à Kirkissoye. A l’image d’une ville qui s’étend encore et encore, le roman balaye simultanément les thèmes de la polygamie, de la maternité, de la politique, de la fonction publique, le tout sur fond de corruption.
Parmi les protagonistes, Jirmey, modeste et honnête fonctionnaire public, se retrouve soudainement propulsé à un haut poste devenant ainsi la clé de voûte d’une mafia, dont il ignorait auparavant tout le fonctionnement. Entre son honneur et le confort des millions qui lui tombent inopinément dessus, de quel côté va-t-il pencher ?
Le Studio Kalangou a rencontré l’auteur
Studio Kalangou : Comment vous est venue l’idée d’écrire ce roman ?
Adamou Idé : Je cherche toujours mon inspiration à travers les faits de société ou les expériences humaines. Je suis particulièrement sensible aux phénomènes d’exclusion sociale, de violence, d’injustice, d’entrave à la liberté. Ce sont des thèmes récurrents dans mes écrits. Ce roman, Camarades, s’inscrit dans le même ton. J’ai observé les dégâts sociaux que peut causer l’idolâtrie de l’argent dans notre société, surtout ces derniers temps. Perte des valeurs positives, telles que la Dignité, l’Honneur, le Travail. L’argent devient l’alpha et l’oméga des relations sociales, des carrières professionnelles, de la conquête du pouvoir. Sont laissés pour compte ceux qui n’en possèdent pas ; ceux-là se sentent obligés de suivre des sentiers tortueux pour s’en procurer, et le plus rapidement possible. Heureusement, il reste encore des hommes et des femmes, debout qui luttent pour préserver les valeurs dont quelques-unes sont citées plus haut. Loin de moi cependant l’idée de faire la morale à qui que ce soit. Ce n’est pas le rôle de l’écrivain.
Studio Kalangou : Quelle tranche de la population estimez-vous la plus exposée à ces dérives sociétales ?
Adamou Idé : Les jeunes sont particulièrement en danger, exploités qu’ils sont par les hommes politiques, qui comptent sur leur ingénuité et leur fragilité économique. Mais, ils ne sont pas les seuls. Les fonctionnaires qui vivent dans des conditions difficiles sont également menacés par ces dérives.
Studio Kalangou : Est-ce que ce livre est une histoire autobiographique ?
Adamou Idé : Non, il ne s’agit point d’un roman autobiographique. Il s’agit d’une œuvre fictionnelle dont on peut dire que le respect de l’intérêt général est le thème central. De nos jours, cette notion est dangereusement menacée, par des pratiques peu orthodoxes au sein de l’administration publique, qui est devenue la vache laitière des hommes politiques et des commerçants. Ceux-ci débloquent l’argent pour donner le pouvoir aux premiers qui, à leur tour, souvent au mépris de la loi, concèdent des marchés en guise de retour sur investissement.
Studio Kalangou : Dans cette fiction, Camarades, vous avez brossé le comportement rapace de certains hommes politiques mais qu’en est-il des citoyens ?
Adamou Idé : Les citoyens quant à eux paient leurs impôts pour assurer l’avenir de leurs enfants, se soigner, se nourrir et assurer leur sécurité ainsi que celle de leurs biens. Mais les hommes politiques qui, leur promettent tout cela, s’empressent, une fois le pouvoir acquis, de détourner l’argent public à leur profit et celui de leurs amis, famille et soutiens. Ainsi, l’administration cesse d’être publique, c’est-à-dire dispensatrice de « services au public », comme l’éducation, la santé, l’agriculture, la sécurité entre autres. Pour devenir le tiroir-caisse d’une caste politique qui fait peu de cas des devoirs de la République, des lois et des valeurs éthiques.
Studio Kalangou : Dans votre roman, vous avez évoqué la méfiance et la peur que suscitent les albinos, selon vous, comment sont- ils perçus dans la société nigérienne ?
Adamou Idé : Il s’agit encore d’un phénomène d’exclusion qu’il faut dénoncer. Dans le contexte du roman, la petite fille du fonctionnaire Jirmey, qui est née albinos, est devenue un moyen de pression pour les hommes sans foi ni loi pour obtenir son adhésion à la machinerie mise en place pour extorquer l’argent public, à travers des marchés fictifs et non réguliers. Dans la société nigérienne, si les albinos ont fait l’objet de spéculations mal fondées, aujourd’hui les choses changent.
Studio Kalangou : Un autre thème sociétal que vous avez traité dans votre roman, est la polygamie, est ce qu’au Niger, c’est une bénédiction ou un fléau ?
Adamou Idé : Nous vivons dans une société où la polygamie est admise sous des conditions précises édictées par le Coran, le Livre Saint. Dans le roman, le personnage de Jirmey a deux épouses avec lesquelles il entretient des relations respectueuses. Il les associe à ses réflexions et angoisses. Si les deux femmes connaissent quelquefois des tensions entre elles, cela ne va pas jusqu’à la rupture totale. D’ailleurs, les deux femmes s’entendent pour l’aider à se sortir de la mauvaise passe dans laquelle il s’est fourré en acceptant le poste auquel il a été nommé. Dans la société nigérienne, la polygamie ne peut pas être considérée comme un fléau.
Studio Kalangou : Préparez-vous un cinquième roman ? Si oui sur quel sujet ?
Adamou Idé : Je viens de rééditer il y a quelques mois, mon premier recueil de poèmes « Cri inachevé » paru en 1984. Cependant les sujets d’intérêt ne manquent pas. Je laisse venir l’inspiration…
Studio Kalangou : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes écrivains et à ceux qui souhaitent écrire ?
Adamou Idé : Les conseils portent sur la patience et la persévérance. Ne pas se prendre la tête parce qu’on a aligné quelques phrases sur une page. L’écriture rime avec rigueur et persévérance. La modestie et l’humilité sont de mise dans cette entreprise.
Talatah ABDOU BAHAR