Le journaliste Alain Foka, animateur de l’émission Archives d’Afrique sur Radio France Internationale (RFI) était l’invité d’honneur du festival Rayons d’Afrique, qui s’est tenu du 29 au 31 octobre à Niamey. A cette occasion, le journaliste a intervenu lors du débat Construire le narratif Africain. Voici son message « Le message était tout simple de cette conférence, qui était d’élaborer le narratif africain. Elaborer le narratif africain pourquoi ? Parce que les autres ont toujours parlé de nous et nous nous connaissons toujours à travers ce que les autres ont écrit de nous. Il devient urgent que nous-même nous parlions de nous. ». Une prise de conscience nécessaire donc pour construire l’Afrique de demain. Ce message s’adresse également à la jeunesse, qui constitue la majorité de la population nigérienne. Une jeunesse qui doit s’impliquer davantage.
Dans un débat animé par Alain Foka, les intervenants ont indiqué que l’une des plus grandes menaces qui guette la jeunesse nigérienne reste actuellement le risque de tomber dans les filets de l’extrémiste violent. Car, depuis quelques années, le pays fait face à une crise sécuritaire notamment dans les régions de Diffa et Tillabéry.
En réalité, les conflits qui sévissent dans ces deux régions, trouvent leurs racines à l’extérieur du Niger, nous rappelle le Colonel Mahamadou Abou Tarka, président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix, HACP : « Au Niger la situation sécuritaire est relativement stable. Ce qui nous inquiète c’est la situation sécuritaire sur nos frontières, avec les autres pays en crise. Nous n’avons pas de conflit qui a son origine de l’intérieur du Niger, nous sommes toujours obligés de contenir des conflits qui nous viennent d’ailleurs. ». C’était à l’occasion du forum La résilience des communautés face à la crise du pastoralisme organisé le 17 septembre 2021 en marge de la Cure salée à Ingall. Ainsi pour Diffa, c’est la secte Boko Haram, le groupe armé du Nigéria qui est à la base de l’insécurité dans la zone. Et dans la zone des trois frontières (Niger-Mali- Burkina), à l’ouest du Niger c’est une instabilité sécuritaire qui résulte du chaos engendré à la suite de la chute de l’Etat libyen en 2011.
Comment raconter son histoire quand on se sent accabler ?
Pour Alain Foka « Il devient urgent … que nous ayons notre version, parce que cette version-là nous ressemblera plus, cette version-là sera moins empreinte de distorsions, d’interprétations et quelques fois de condescendances. »
Dès que l’on parle du Niger, on entend dire « le dernier pays du monde », la question est peut-être comment dépasser ces clichés négatifs pour proposer un visage authentique du pays. Comment valoriser les atouts du Niger ? Comment voir la beauté dans la misère ? Pour faire en sorte que la jeunesse se sente fière d’appartenir à ce Niger-là.
Beaucoup de questions, qui sont autant de défis aux nigériens et à la jeunesse. Selon le conférencier c’est à la jeunesse : « de dire ce qu’elle vit, de parler de ses routes, de son école, de son art, de sa vie au quotidien. Pas que quelqu’un vienne dire « oh les artistes nigériens, ils ne sont pas mal mais ils ont tel… » Non c’est à eux de parler, l’autre ne doit pas toujours nous juger. ».
Pour se raconter, le Niger renferme des mines d’idées, la vie quotidienne est pleine d’inspiration : sur les marchés, les scènes de marchandages, les discussions entre cousins à plaisanterie sont autant de sujets intéressants. Mais cela les nigériens l’ont déjà compris, ils ont compris qu’ils tiennent-là un patrimoine immatériel inestimable, dans lequel puiser à loisir.
Faire avec les jeunes, pas contre eux
« Je pense que c’est important qu’on entende aussi ce que les nigériens pensent d’eux, ce que la jeunesse nigérienne pense d’elle-même. Et de nous débarrasser des complexes que nous avons nourris. ».
Dialoguer entre les générations, c’est sans doute l’une des solutions, pour connaître nous-même notre histoire, pour l’écrire. Car chaque nigérien, jeune comme moins jeune, a une histoire à raconter, c’est en contant notre histoire individuellement que nous arriverons à contribuer à construire un narratif nigérien qui enrichira à son tour le narratif africain.
Il est temps que la jeunesse africaine, et particulièrement celle du Niger, comprenne son importance, le poids de ses responsabilités dans les relations économiques et politiques internationales, qu’elle comprenne « qu’il n’y a pas des amitiés il n’y a que des intérêts. Et que, elle doit veiller sur ses intérêts ; et qu’elle représente l’avenir du Niger mais aussi de l’Afrique. Parce qu’en 2050, 1 jeune sur 2 sera africain dans le monde. Donc, elle est aussi l’avenir du monde » insiste M. Foka.
La question du traitement de l’information par la presse nigérienne
Studio Kalangou a demandé à son confrère ce qu’il pense des médias nigériens ou africains de manière générale ? Et Comment faire finalement pour les développer ? Parce qu’aujourd’hui les rédactions africaines reçoivent très souvent les informations de leurs propres pays en second, après les grands médias internationaux. Car leurs dirigeants préfèrent communiquer sur les chaines internationales que sur leurs médias locaux…
Le journaliste répond avec un rire d’abord « je pense que c’est encore l’histoire de raconter vous-même votre histoire. Mais pour qu’on nous prenne plus au sérieux, les médias africains, il faut que nous sortions du hard news permanent. Tout le temps à raconter ce qui vient de se passer, tout le monde sait le faire… ». Alain Foka poursuit « On est à Niamey, je n’ai pas vu un documentaire sur Hamani Diori, Djibo Bakari. Je n’ai pas vu un documentaire même sur Tandja… les nigériens ont envie de savoir ce que vous avez pensé de Tandja. Et demain quand quelqu’un de l’étranger va le faire, on va le regarder, vous allez dire « mais pourquoi ce sont ses documentaires que l’on regarde ? » ».
Pour le journaliste, les médias nigériens se sont enlisés dans un carcan de visites officielles qui intéressent très peu les lectures, téléspectateurs et auditeurs. Il invite ses confères à changer de comportement pour escompter un changement de comportement de leurs dirigeants « qui ont envie d’écouter les grands médias internationaux plutôt que d’écouter leurs médias. ». Notamment en les étonnant et en se montrant créatifs chaque jour.
Il continue « Mais pourquoi vous concentrez sur le fait que vous deviez aller voir le ministre qui inaugure… ensuite au parlement, on a dit ceci etc. Si déjà cela n’intéresse pas l’auditeur ou le téléspectateur, donnez-lui ce qu’il a envie de voir ! ». Des documentaires qui racontent l’histoire du Niger, la polygamie, les activités génératrices de revenus, des sujets sur la jeunesse, sur les femmes, la vie quotidienne. Et peut-être seulement après les dirigeants africains vont revenir à leurs médias locaux.
Interview audio d’Alain Foka
Ousmane Mamoudou.