L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et son ancien ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé étaient poursuivis par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité en lien avec la crise postélectorale de 2010-2011. Ils ont été acquittés le 15 janvier, avant même que la défense ait présenté ses arguments. Un terrible camouflet pour la procureure de la CPI, qui s’ajoute à une longue liste de graves revers.
« C’est une victoire de la justice », et une victoire « de la CPI, qui a aujourd’hui contribué à bâtir sa légitimité », commente l’avocat principal de Laurent Gbagbo, Emmanuel Altit, à l’issue de l’audience. L’ancien président de la Côte d’Ivoire vient d’être acquitté par les juges de la Cour pénale internationale (CPI), tout comme son coaccusé, l’ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé.
Après trois ans de procès et de présentation de la preuve du bureau de la procureure, la majorité des juges (deux sur trois) de la chambre de première instance ont estimé qu’il n’était pas nécessaire pour les deux équipes de défense de présenter leurs arguments. Pour le juge Cuno Tarfusser, qui préside cette chambre, « la procureure a échoué à démontrer l’existence d’un plan commun », ainsi que l’existence d’une politique d’attaque contre les civils, éléments constitutifs d’un crime contre l’humanité. De plus, elle n’aurait pas su montrer que les discours de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé avant et pendant la crise politique ivoirienne auraient poussé à la commission des crimes.
L’humiliation de la procureure
Cette décision est un nouveau coup de tonnerre pour la CPI. Et tout le monde ne partagera pas l’optimisme de Me Altit sur les retombées de cette décision quant à la réputation de la Cour. Après l’effondrement des accusations contre plusieurs dirigeants kényans, après l’acquittement en appel de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba il y a sept mois, c’est surtout un énorme camouflet pour la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, qui échoue encore à faire condamner des personnes qui détenaient les clés du pouvoir au moment où des atrocités étaient commises. En plus de quinze ans d’existence, la CPI n’a enregistré que trois condamnations sur des crimes internationaux, concernant d’anciens chefs rebelles ou acteurs de rang intermédiaire. En quelques mois, elle vient de prononcer autant d’acquittements, dont deux de stature présidentielle.
Il est rarissime que des juges décident de prononcer un acquittement en plein milieu du procès, avant même d’entendre la défense. Cela ajoute au caractère cuisant du revers subi par la procureure internationale Fatou Bensouda.
Le dossier Gbagbo est certes l’héritage de l’ancien procureur Luis Moreno Ocampo, et il s’avère une fois de plus rongé par l’incurie des enquêtes. Mais il ne peut qu’éclabousser son successeur Fatou Bensouda, qui fut l’adjointe de Moreno Ocampo pendant huit ans et qui est à la tête du bureau depuis six ans. Six ans pendant lesquels elle n’a manifestement pas réussi à réparer les graves carences de son bureau au niveau des enquêtes et des procès. La situation d’échec dans laquelle elle se trouve aujourd’hui est aggravé par le caractère humiliant des circonstances procédurales de l’acquittement des accusés ivoiriens. Il est en effet rarissime que des juges décident de prononcer un acquittement en plein milieu du procès, avant même d’entendre la défense. Cela ajoute au caractère cuisant du revers subi par la procureure internationale.
Une remise en liberté suspendue
A la suite de l’acquittement des deux responsables politiques ivoiriens, les juges ont ordonné leur libération immédiate. Cependant, cette libération a été rapidement suspendue pour 24 heures, à la demande d’Eric MacDonald, représentant du bureau de la procureure, qui semble vouloir obtenir une libération sous conditions en attendant la remise de la décision complète des juges, qui a été différée. Une audience aura lieu dans la matinée du 16 janvier pour discuter de la question. « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir, notre pouvoir légal, pour obtenir une libération immédiate », a déclaré après l’audience l’avocat principal de Charles Blé Goudé, Geert-Jan Alexander Knoops. Les deux détenus pourraient donc rester en détention, retrouver la liberté, ou sortir sous conditions.
Le bureau de la procureure fait face à un problème de taille pour sa stratégie à venir dans ce dossier. Les juges n’ont en effet pas encore rendu publiques les raisons précises de l’acquittement. Pour le juge Tarfusser, il était préférable de rendre une décision orale en attendant la décision écrite, afin de protéger les droits des accusés. L’argumentaire détaillé devrait être disponible « le plus vite possible ».
Opinion dissidente
Dans une opinion dissidente à la décision orale de la majorité – et qui, elle, a été rendue publique peu après l’audience – la juge Olga Herrera Carbuccia revient d’abord sur le fait qu’il n’y ait pas eu de décision unique et détaillée, comme le prévoit le Statut de Rome, qui permettrait à toutes les parties de connaître les raisons d’une décision lorsque celle-ci est rendue. Elle considère aussi que nombre de décisions prises dans cette affaire ont pris beaucoup trop de temps avant d’être rendues. « En conséquence », écrit Olga Herrera Carbuccia, « j’estime que les juges ont violé les droits fondamentaux du procès équitable. »
Puis la juge dissidente quitte la forme pour traiter du fond du dossier. Sur plus de trois pages, elle explique pourquoi, après analyse des éléments de preuve, elle « estime qu’il existe des éléments de preuve sur lesquels une chambre de première instance raisonnable pourrait condamner les accusés ». Olga Herrera Carbuccia devrait également publier une opinion dissidente en réponse à la future décision d’acquittement quand elle aura été publiée sous une forme écrite et expliquée.
Dans un communiqué de presse diffusé en fin de journée, Me Paolina Massidda, avocate des victimes dans ce procès, a de son côté exprimé la « vive déception » de celles-ci. Soulignant que ces victimes avaient « participé au procès dans l’espoir qu’un tribunal impartial puisse un jour leur rendre justice », elle ajoute sèchement : « Cet espoir est aujourd’hui vain. » Avant de déplorer « qu’aucun mot n’ait été prononcé afin de rappeler leurs souffrances. »
LARMES ET CRIS DE JOIE
Dans les bras l’un de l’autre. C’est ainsi que se sont retrouvés Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à l’issue de leur acquittement. Autour d’eux, leurs équipes de défense respectives étaient émues, et des larmes ont coulé. C’était « un long chemin », témoignera plus tard Emmanuel Altit, l’avocat principal de Laurent Gbagbo. Côté galerie du public, des dizaines de personnes, présentes pour soutenir les anciens suspects, n’ont pas su retenir leur joie, malgré les appels au calme du personnel de la CPI.
À 6 000 kilomètres, à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, l’atmosphère du début d’après-midi est restée tranquille. « C’est calme, car c’est un jour ouvrable », témoigne Abraham Kouassi, de la plateforme Observateur citoyen et correspondant de JusticeInfo.net. « Mais dans les quartiers, comme à Yopougon, ça fait du bruit, il y a des manifestations de joie. Au Plateau [le quartier des affaires], les gens parlent en petits groupes. C’est comme s’ils ne réalisaient pas encore qu’il s’agit d’un acquittement. »