Au Niger, l’accès à Internet reste un défi, particulièrement dans les zones reculées. Dans un pays où la fracture numérique est importante, la situation est encore plus critique dans certaines localités où la connexion au réseau est pratiquement impossible. Les fournisseurs d’accès traditionnels peinent à couvrir l’intégralité du territoire, laissant des millions de Nigériens en marge de la révolution numérique mondiale. Cependant, un nouvel acteur a émergé : l’américain Starlink, une filiale de l’entreprise Space X d’Elon Musk. Bien que son utilisation soit interdite par le gouvernement du Niger, cette technologie semble rapidement s’imposer dans les localités les plus isolées du pays.
La croissance d’Internet au Niger
En 2022, le Niger a enregistré un taux de pénétration d’Internet mobile de 37 %, marquant une hausse significative de 14 % par rapport à l’année précédente, selon le rapport de l’année 2022 publié par l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et de la Poste (ARCEP). Cette augmentation témoigne de l’engouement croissant de la population nigérienne pour les services en ligne. Toutefois, ces chiffres ne prennent pas en compte l’utilisation des fournisseurs alternatifs comme Starlink, qui opèrent en dehors du cadre légal.
Qu’est-ce que Starlink ?
Fondée par l’américain originaire d’Afrique du Sud Elon Musk en 2018, l’entreprise s’appuie sur un réseau de plusieurs milliers de petits satellites en orbite autour de la Terre. Ces satellites forment une constellation qui couvre toute la planète et permet de transmettre des signaux internet en orbite terrestre basse (environ 550 kilomètres d’altitude). Pour bénéficier de ce service, il suffit d’installer une petite antenne parabolique, aussi appelée Dish, chez soi ou dans son entreprise. Cette antenne capte les signaux des satellites et les transforme en une connexion internet utilisable comme n’importe quelle autre connexion.
Il est fréquent que des personnes non averties confondent le passage des satellites Starlink, la nuit, avec des objets volants non identifiés (OVNIs). Lorsqu’on observe le ciel nocturne, on peut souvent apercevoir une chaîne de points lumineux se déplaçant à grande vitesse. Ce qui peut effectivement évoquer des phénomènes extraterrestres. « Il nous ai souvent arrivé de procéder à des tirs de sommation la nuit » nous a confié un militaire, avant de comprendre qu’il s’agissait de la constellation de satellites de Starlink.
Sur les réseaux sociaux, les internautes partagent souvent les vidéos de ces satellites en mouvement dans le ciel.
Une technologie controversée
Malgré ses nombreux avantages, cette technologie fait l’objet de vives critiques en raison de son impact environnemental. Certains chercheurs la considèrent comme une catastrophe écologique. Une étude récente, publiée le 11 juin 2024 dans Geophysical Research Letters, a mis en évidence que la rentrée atmosphérique des satellites Starlink en fin de vie contribue à l’appauvrissement de la couche d’ozone.
En effet, lors de leur désorbitation, ces engins spatiaux brûlent en entrant en contact avec les couches supérieures de l’atmosphère, libérant des substances nocives. Ce phénomène, qui se produit presque quotidiennement, pose une réelle menace pour notre planète.
Aujourd’hui, il y a 8 100 satellites en orbite basse. Starlink a l’autorisation d’en lancer 12 000 autres dans les années qui viennent, et le projet est d’arriver à 45 000 satellites lancés.
Ce nombre important augmente aussi le risque de collision avec d’autres satellites. D’après un rapport déposé par Starlink auprès de la Commission fédérale des communications (FCC), SpaceX a indiqué que ses satellites ont réalisé plus de 25 000 manœuvres d’évitement entre décembre 2022 et mai 2023. Un chiffre qui est passé à 50 000 entre décembre 2023 à mai 2024.
En 2019, l’Agence Spatiale Européenne (ESA) a dû manœuvrer l’un de ses satellites pour éviter une collision avec un appareil de la constellation Starlink.
Le 6 décembre 2021, la Chine a déposé une plainte auprès de l’ONU contre Starlink, invoquant le Traité sur les principes régissant les activités des États dans l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. La Chine a signalé que les satellites Starlink, lancés par SpaceX aux États-Unis, avaient eu deux rencontres rapprochées avec la Station spatiale chinoise. Par mesure de précaution, la Station spatiale chinoise a dû effectuer des manœuvres d’évitement pour prévenir des collisions le 1er juillet et le 21 octobre 2021.
Du Wifi dans les villages
À Timia, un village niché au cœur des massifs de l’Aïr, un habitant nous confie : « Depuis l’arrivée du Wifi, il y a presque deux ans, nous sommes tranquilles. » Ce mot, « Wifi », est couramment utilisé pour désigner la connexion fournie par Starlink, devenue synonyme d’un accès Internet fiable dans des zones où les réseaux traditionnels sont inexistants.
De Dirkou à Timia, en passant par Bilma et d’autres villages du pays, on assiste à une forme de révolution numérique grâce à Starlink. Sur le terrain, nous avons mesuré des vitesses de connexion atteignant plusieurs mégabits en débit descendant et montant, une performance impressionnante dans des régions où l’accès à Internet était simplement impossible. Les villages voient apparaître, accrochés sur des poteaux de fortune, des répéteurs Wi-Fi, transformant les quartiers en véritables toiles de communication.
Une petite économie locale se développe
L’utilisation de Starlink au Niger a également engendré une petite économie locale. Des fournisseurs informels se concurrencent pour offrir des services d’accès à Internet, permettant ainsi de réduire les coûts pour les utilisateurs. Souvent, ce sont des boutiquiers qui ajoutent la vente de l’accès Internet à leur gamme de produit (tomate, huile, oignon, riz, etc.).
Cependant, prononcer le mot « Starlink » reste tabou, les paraboles sont installées loin des regards puisque les villageois sont conscients de l’interdiction du gouvernement.
À Dirkou, une commune située à près de 1700 kms de Niamey, des salles aménagées en cybercafés voient le jour, offrant un refuge numérique à une jeunesse avide de connexion. Dans ces espaces rudimentaires les internautes, des jeunes hommes et des jeunes filles pour l’essentiel, s’installent à même le sol. Une salle construite en paille équipée d’un humidificateur d’air, pour se connecter à un tarif de 500 francs CFA pour deux heures. « La connexion est bonne, mais c’est cher », admet un client régulier.
Les gestionnaires de ces cybercafés utilisent des logiciels qui leur permettent de générer les codes d’accès au Wifi pour chaque montant relatif à une durée de connexion.
La demande est telle que la population est prête à payer le prix fort pour rester connectée. « Nous nous sommes plaints à maintes reprises chez les opérateurs de la mauvaise qualité de leurs services, mais en vain… Même de simples appels téléphoniques sont souvent impossibles », explique un autre utilisateur. Face à cette réalité, Starlink s’impose comme la seule alternative viable pour maintenir le lien avec le reste du monde.
Dans son rapport, l’ARCEP avait déjà mis en demeure les opérateurs puisqu’ils ne respectaient pas les normes en termes de qualité de services : « Il ressort de ce contrôle que l’ensemble des opérateurs ne respectent pas intégralement les prescriptions de la décision précitée ». Ce sont donc plus de 9 millions d’abonnés à Internet mobile qui se retrouvent avec des services de mauvaises qualités voir inexistant.
« Une grande partie de nos activités économiques se passe en ligne, nous sommes obligés de nous connecter au Wifi à 1000, 2000 ou même 3000 francs CFA. Nous voulons que les opérateurs de téléphonie mobile équipent nos localités comme les autres régions du Niger », se plaint un utilisateur à Dirkou. Ce qui pourrait permettre de baisser les coûts du forfait Internet.
Une connexion qui peine à couvrir l’intégralité des villages
Bien que Starlink offre une connexion Internet prometteuse, la bande passante disponible pour chaque utilisateur peut varier en fonction de la congestion du réseau, de la météo et de la position des satellites. Dans certains villages, l’emplacement presque anarchique des répéteurs Wifi et leur mauvaise configuration ajoutent une couche supplémentaire de problèmes liés à la latence du réseau. Bien que certains fournisseurs installent des répéteurs Wifi un peu partout, la connexion au réseau Internet peut être compromise au fur et à mesure que l’on s’éloigne souvent du boutiquier.
Selon un fournisseur d’accès local avec lequel nous nous sommes entretenus, mais qui souhaite rester anonyme, pour totalement couvrir son village, il aurait besoin de 10 kits Starlink couplés à une certaine quantité de répéteur Wifi. Des répéteurs qu’il place à trois mètres du sol pour une meilleure couverture indique-t-il. Pour lui, Starlink est utilisé malgré l’interdiction du gouvernement puisque les gens ont besoin de communiquer. Certaines familles sont séparées par plusieurs milliers de kilomètres dans des zones souvent très difficiles d’accès.
Au Niger, la bande passante internet est passée de 71,9 gigabit par seconde en 2021 à 123,8 gigabit par seconde en 2022. Une hausse significative mais avec beaucoup de disparité selon les opérateurs. La bande passante représente la quantité maximale de données qui peuvent être transmises d’un point à un autre sur un réseau (comme Internet) pendant une période donnée. C’est un peu comme la largeur d’une route : plus elle est large, plus de voitures peuvent circuler en même temps. Ce qui augmente la rapidité de la connexion.
L’utilisation de Starlink est interdite au Niger
Dans un communiqué publié le 31 juillet 2023 on peut lire que le gouvernement du Niger, par le biais de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et de la Poste (ARCEP), a constaté que des terminaux Starlink sont illégalement commercialisés et installés sur le territoire pour permettre la connexion Internet par satellite. L’ARCEP rappelle que cette activité nécessite une licence individuelle et des assignations de fréquences.
« L’Autorité de Régulation rappelle à la population que cette activité est exercée illégalement au mépris des textes en vigueur qui requièrent l’obtention préalable d’une licence individuelle et d’assignations de fréquences pour la fourniture par satellite de l’accès Internet au Niger. »
L’ARCEP a exigé l’arrêt immédiat de toute commercialisation des services Starlink sans autorisation préalable, sous peine de sanctions sévères. Ces sanctions incluent des peines d’emprisonnement allant de trois mois à un an et des amendes pouvant atteindre 60 millions de francs CFA, ainsi que des amendes spécifiques pour la vente d’équipements non homologués.
Pourtant, au mois de février de la même année, le Ministre de l’économie numérique du Niger avait rencontré l’équipe dirigeante de Starlink en marge du Mobile Word Congress de Barcelone, en Espagne.
Sur la carte de disponibilité de ses services dans le monde, Starlink indique que sa technologie sera disponible au Niger à partir de 2025. Mais l’entreprise précise : « Les estimations sont conditionnelles à l’approbation du gouvernement et à l’expansion du réseau.«
Vous pouvez consulter toute la carte sur ce lien.
Pour le moment, les utilisateurs acquièrent et enregistrent les kits Startlink depuis un pays éligible et prennent un abonnement régional, qui permet de se connecter partout sur le continent.
Sauf qu’un abonnement régional ne peut pas être indéfini et se limite à deux mois indique l’entreprise : « Si vous utilisez les services mobiles pendant plus de deux mois dans un pays différent de votre adresse de livraison, Starlink peut vous demander de déplacer votre adresse enregistrée vers votre nouvel emplacement. Starlink peut suspendre immédiatement vos services si votre nouvel emplacement ne se trouve pas dans un territoire autorisé (indiqué « Disponible ou Liste d’attente ») ». Les utilisateurs nigériens sont donc pour le moment épargnés puisque le pays fait partie de la liste d’attente des territoires éligibles en 2025.
Des réactions similaires dans la sous-région
Des communiqués de presse similaires à celui du Niger ont été publiés en Côte d’Ivoire, au Mali, au Brukina, ou encore au Tchad. Sur le continent, les gouvernements sont retissant face à cette nouvelle technologie qui échappe à toute régulation faute d’accord. Dans les pays du Sahel touchés par l’insécurité, on craint que les déploiements sauvages de cette technologie profitent aux groupes djihadistes.
Une enquête publiée par Bloomberg cette année a pointé du doigt la distribution des kits Starlink sur le marché noir, ce qui représente potentiellement un danger : « la simple disponibilité de Starlink sur le marché noir suggère que son utilisation abusive est un problème mondial systémique ».
Au moment de la publication de cet article, les services de Starlink sont seulement disponibles dans 8 pays africains sur 54. Il s’agit de la Sierra Leone, du Rwanda, de la Zambie, de Madagascar, du Nigéria, du Kenya, du Mozambique, et de l’Eswatini.
Ousmane Mamoudou.